Alone Together (3), Paris, 2020-2021

Chaque matin, je m’assieds à ma table de travail, face à mon écran et j’écris sur mes parents et ma famille. Je reste de longues heures avec eux. Moi qui, depuis des années, fuyais éperdument les réunions familiales, je ne fais plus que passer du temps avec eux tous. Alone Together. Il est vrai que je choisis de qui je veux parler et comment. Je supprime des membres de la famille. Je change le sexe d’un protagoniste. J’invente et je modifie ce que je veux dans leur vie. Je trouve du réconfort dans cette famille imaginaire.

Est-ce qu’écrire m’apaise ? Ou de nous retrouver enfin rassemblés sans que quiconque ne se dispute ? Sans parler politique, sans les luttes d’ego, sans les cris de mes oncles, de mon père, de ma mère et ses cousins, de Yala qui m’ont bercé enfant et adolescent ? D’ailleurs, d’où vient ce cri qu’ils ont en commun et qu’ils m’ont transmis ? Ce cri qui sort du fond des entrailles. Ce rugissement animal. De la guerre ? Je l’ai toujours pensé (et c’était une belle excuse) avant de rencontrer d’autres familles qui ont vécu cette même guerre mais ne crient jamais. Qui parlent, seulement parlent.

Avant de découvrir cette autre manière surprenante de s’exprimer, je croyais que la vie n’était faite que de cris. Il me semblait normal de hurler sur tout ce qui bouge.

Aujourd’hui, au seul retentissement d’un cri, je me recroqueville comme un enfant. Je fuis toute personne qui s’exprime ainsi. Je suis capable de ne plus jamais la revoir. Et s’il m’arrive encore de rugir ainsi, je me tais une semaine durant, comme pour faire le deuil de cet animal en moi. Je ne dis pas un mot. J’écris.